Réussir sa politique de rénovation énergétique de l’habitat : 5 chantiers clés pour les collectivités
Solène Le François

Qu’ils aient les yeux rivés sur le prix de l’énergie, le diagnostic énergétique de leur maison, ou le dernier rapport du GIEC, presque tous les Français s’accordent à dire que la rénovation énergétique du parc immobilier est une priorité. Si au cours des dernières années les collectivités territoriales ont été le fer de lance de la construction d’un service public de la performance énergétique de l’habitat, le portage de ce service public devient étatique. Avec le guichet unique national « France Rénov’ », l’exécutif traduit sa volonté d’opérer le virage de la massification. Pour autant, ceci ne disqualifie pas les collectivités, qui, bien au contraire, sont appelées à jouer un nouveau rôle doublement essentiel en incarnant le nouveau dispositif, et en affirmant, à l’aune de leurs propres ambitions écologiques, sociales et/ou économiques, les spécificités locales de leur politique de rénovation énergétique.

Bien entendu, ce nouveau rôle doit se construire, et nous vous détaillons dans cet article, les 5 chantiers clés auxquels les collectivités doivent s’atteler dès à présent.

Tout d’abord, quelques éléments de contexte…

Le long travail des collectivités pour regagner la confiance des Français

Après les arnaques sur les « rénovations à 1 euro » qui ont marqué l’opinion, il a fallu, pour les collectivités territoriales et leurs partenaires associatifs, mener un travail de fond pour rétablir la confiance entre les ménages et les opérateurs des services publics de la performance énergétique de l’habitat (SPPEH).

Après plusieurs années de travail, les collectivités disposent désormais de leur propre réseau de conseillers (agréés par l’Anah) qui informent, sensibilisent et conseillent les ménages sur la maîtrise de l’énergie et les énergies renouvelables. Financés par les collectivités, ces réseaux de spécialistes ont intégré le 1er janvier 2022 le dispositif national « France Rénov’ » en tant que « Espaces Conseil France Rénov’ » (450 en France).

La volonté du législateur : ouvrir l’accompagnement pour massifier 

Cependant, dans une volonté de massifier la rénovation énergétique, l’Etat a souhaité aller plus loin en envisageant dans un projet de décret l’ouverture de l’accompagnement des particuliers à des opérateurs privés, et donc, potentiellement, à des entreprises privées.

Aujourd’hui assuré par les collectivités et leurs opérateurs associatifs, ce rôle de tiers de confiance pourrait demain être ouvert à d’autres opérateurs que le réseau des « Espaces Conseil France Rénov’ ». Seulement, à défaut de garanties d’indépendance suffisantes, cette ouverture inquiète les acteurs actuels du dispositif, et vient questionner le rôle des collectivités, demain, dans l’écosystème local de la rénovation énergétique : Quel rôle devront jouer les collectivités dans la définition des modalités d’intervention de l’accompagnateur Rénov’ ? Comment continuer à assurer la fiabilité des interlocuteurs du ménage ?

Une réflexion d’ampleur sur le renouvellement du rôle des collectivités

A y regarder de plus près, ces questionnements quant au rôle des collectivités territoriales dépassent largement la dimension de l’accompagnement des ménages. En effet, le rapport d’Olivier Sichel du 17 mars 2021 (dont est issu le dispositif « France Rénov’ ») invite les collectivités territoriales et leurs partenaires à une réflexion bien plus large sur la redéfinition de leur place dans la politique publique de rénovation énergétique de l’habitat.

Parmi les réflexions qui s’imposent aux collectivités, nous identifions 5 sujets prioritaires.

1. Définir les modalités d’intervention de l’accompagnateur Rénov’

En rendant obligatoire l’accompagnement des travaux de rénovation énergétique à partir d’un certain montant et en déterminant (de manière plus extensive) le contenu de cet accompagnement, le texte d’application de la loi Climat et Résilience devrait contribuer encore à accentuer la montée en charge des demandes d’accompagnement formulées par les ménages.

En attendant le 1er janvier 2023 et l’entrée en vigueur de ces mesures, le réseau d’accompagnateurs ne comprend toujours que des acteurs publics (anciens conseillers Faire, opérateurs de l’Anah et associations agréées par elle). Dès le 1er janvier 2023, le réseau devrait accueillir des professionnels privés, tels que des architectes et des bureaux d’études qui obtiendraient l’agrément de l’Anah.

Néanmoins, seules les collectivités (ou des structures de droit privé ayant contractualisé avec elles, à l’image de certaines associations) restent le « point d’entrée privilégié des ménages » dans leurs parcours d’accompagnement, ce qui soulève un certain nombre de questions qu’il nous paraît judicieux d’anticiper :

  • Quelle place pour les collectivités dans le processus d’agrément (agrément délivré par l’Anah) ?
  • Quelle organisation faut-il mettre en place pour gérer cette interface entre les collectivités et les professionnels privés agréés pour être accompagnateurs Rénov’ ?
  • Comment mettre en place une procédure de redirection fluide et sécurisante pour les ménages ? Quels partages d’informations mettre en place ? Avec quels outils ?
  • Quels contrôles doivent être assurés par la collectivité ? et quels risques et responsabilités cela fait-il porter à la collectivité ? comment s’en prémunir ?

2. Affirmer les spécificités locales de la politique de rénovation énergétique

Que ce soit en matière d’aides financières ou d’accompagnement des ménages, la logique sous-tendue par le rapport Sichel (et reprise par l’exécutif dans le projet de décret d’application de la loi Climat et Résilience) est qu’il existe un dispositif national mais que les collectivités peuvent aller plus loin.

Les collectivités sont ainsi encouragées à poursuivre leurs politiques volontaristes et à en développer de nouvelles en fonction de leurs sensibilités, ambitions et objectifs. Elles peuvent ainsi alternativement ou cumulativement :

  • mettre l’accent sur le développement de certaines filières, en encourageant par exemple l’utilisation de matériaux bio-sourcés ou le recours à l’hydrogène grâce à l’octroi de subventions additionnelles
  • concentrer leurs efforts sur certaines populations ou certains quartiers selon la politique définie par l’EPCI
  • prendre en compte leurs zonages prioritaires (ORT, QPV) afin de définir des zones de rénovation privilégiant des typologies de bâtiments à rénover comparables et susceptibles de favoriser via l’intermédiaire de « mon accompagnateur Rénov » un groupement des achats, voire de marchés de travaux susceptible de réduire les coûts ou d’expérimenter des initiatives de travaux pré-industrialisés telles que celles menées par les bailleurs sociaux(Energie Sprong).

3. Repenser la stratégie de communication et d’aiguillage vers le dispositif « France Rénov' » et « l’accompagnateur Rénov' »

Jusqu’au lancement du guichet unique France Rénov’, difficile pour les ménages de s’y retrouver dans la jungle des aides et des acteurs de la rénovation thermique …

Désormais, dans une optique de simplification, l’Anah, les collectivités et leurs partenaires, sont invités à mettre en avant la marque « France Rénov’ » et à articuler leur stratégie et leurs dispositifs d’information existant avec la stratégie de communication nationale.

Néanmoins, il a été constaté que la réussite des politiques d’incitation à la rénovation thermique de l’habitat reposait en grande partie sur la confiance que leur accordent les administrés, et que cette confiance était le plus souvent le fruit d’une proximité entre les ménages et leurs conseillers. C’est pourquoi, le développement d’une stratégie de communication territorialisée, personnalisée (personnalisant le dispositif à l’échelle locale), et ciblée (tenant compte des spécificités urbanistiques ou sociales des localités) devrait, selon nous, constituer l’un des rôles clés des collectivités.  

4. Définir la stratégie pour accompagner le développement et la structuration de la filière du BTP sur le territoire

Parmi les difficultés rencontrées localement pour accélérer la rénovation énergétique de l’habitat, l’un des freins majeurs est de nature structurelle, il réside dans la pénurie de main d’œuvre à laquelle fait face la filière du BTP, et plus fortement encore de main d’œuvre qualifiée pour conduire des travaux de rénovation thermique labellisés RGE (reconnu garant de l’environnement).

Afin d’accompagner le développement sur le territoire d’une offre de professionnels qualifiés, au moins 4 leviers sont à la main des collectivités :

  • Favoriser le développement de l’offre de formation en adéquation avec les besoins des entreprises
  • Informer et promouvoir les métiers du bâtiment
  • Optimiser le maillage territorial des formations, en particulier pour la qualification RGE
  • Favoriser l’émergence d’offres globales de maîtrise d’œuvre (avec un interlocuteur unique) pour garantir la performance finale de la rénovation, grâce à un accompagnement des compétences techniques et organisationnelles des entreprises du bâtiment

Véritable socle de construction de la nouvelle politique de rénovation énergétique, le cinquième chantier doit être envisagé par les collectivités comme un préalable incontournable aux 4 précédents : il s’agit pour les collectivités « d’évaluer » leur politique actuelle de rénovation énergétique de l’habitat.

5. Un préalable : évaluer la politique actuelle pour identifier ses avancées, ses succès et ses failles

En effet, depuis de nombreuses années, les collectivités (avec à leur côté l’Anah, l’Ademe, et un certain nombre d’organismes agréés) ont développé localement leur politique publique de rénovation énergétique avec chacune leur communication, leurs subventions (complémentaires des aides nationales) et leur service public local d’accompagnement des ménages.

Les objectifs que se sont assignées les collectivités sont variés et souvent ambitieux, puisqu’ils tendent à répondre localement aux ambitions portées par la France dans le cadre des accords de Paris.

Après plusieurs années d’expérimentation et de construction incrémentale de leur politique locale de rénovation énergétique de l’habitat (ralentie par la crise sanitaire), de nombreuses collectivités cherchent aujourd’hui à faire le point sur la pertinence et la réalisation de leurs objectifs et sur les repositionnements souhaitables de leur stratégie, notamment au regard des enjeux grandissants de réduction des émissions polluantes et de précarité énergétique.

Au travers de ce travail d’évaluation de leur politique publique, nous encourageons les collectivités territoriales à procéder a minima

  • à la clarification des objectifs suivis et à l’analyse des résultats obtenus
  • à la modélisation et l’analyse des parcours de leurs usagers, notamment pour clarifier l’imbrication des acteurs (et des aides) et pour identifier les « failles » de ce parcours et les freins restant à lever
  • au recensement de leurs actions de communication pour comprendre l’impact qu’elles ont eues
  • à la mesure concrète des retombées des opérations de rénovation énergétique sur la consommation des ménages post-travaux et sur le territoire

Vous souhaitez vous lancer mais vous ne savez pas par où commencer ? Adeptes d’une approche participative, rompus à la transformation des organisations, et fins connaisseurs des collectivités, nous pouvons vous accompagner de l’analyse de votre politique actuelle jusqu’à la mise en œuvre des repositionnements voulus.

Nous restons naturellement à votre disposition pour échanger et partager nos réflexions avec vous !