Services techniques : construire des ponts entre les expertises
Étienne Dutheil

Les services techniques et les collectivités, c’est une longue histoire… Pour ce qui est du fait intercommunal, c’est même d’ailleurs le point de départ de l’histoire avec l’apparition à la fin du 19ème siècle des syndicats intercommunaux à vocation unique (SIVU), consacrés à la distribution d’électricité et à l’installation des réseaux d’eau. C’est dire leur importance dans le paysage du service public français ! Or, les défis qui se posent aujourd’hui pour les services techniques sont nombreux. La question de la transition écologique bouscule nos priorités, transforment les usages et les choix d’aménagement de l’espace public ; la croissance démographique reste une réalité pour deux nombreux territoires (et pas seulement les grandes métropoles !), induisant des enjeux importants de renouvellement et/ou développement des infrastructures existantes ; l’écosystème des acteurs intervenants sur l’espace public s’est extraordinairement complexifié ; et pour ne rien simplifier les attentes des usagers vis-à-vis des pouvoirs publics se sont considérablement intensifiées !

Chez Politeia, nous travaillons depuis notre création avec les services techniques, généralement à l’échelle de services ou directions, que nous aidons à se réorganiser. Nous avons pu toucher du doigt les difficultés que rencontrent les collectivités à intégrer pleinement, au sein des services techniques, les transformations profondes que nous décrivions à l’instant. En effet, comme dans la plupart des organisations, ces services opérationnels sont encore empreints d’un fonctionnement « en silo » et d’une forme d’étanchéité entre les expertises.

Entre 2021 et 2022, nous avons accompagné deux démarches d’ampleur : l’une auprès du Pôle Proximité et Espaces Publics de Grenoble-Alpes Métropole ; l’autre auprès des deux DGAST de Cœur d’Essonne Agglomération. Ces projets nous ont donné l’occasion de prendre du recul sur ces enjeux et travailler l’organisation globale des services techniques. Alors forcément, on avait envie de vous en parler !

Dans cet article, nous vous racontons comme nous avons travaillé à dénouer le casse-tête qui se pose à tout DST, à savoir : comment parvenir à créer de la cohérence et de l’unité entre des directions aux identités professionnelles aussi marquées et différentes ?

1/ Dépasser l’approche par les expertises pour avoir une vision plus large des fonctions à prendre en charge par l’organisation   

Chez Politeia, nous avons une manière un peu singulière d’approcher la construction de nos méthodes d’intervention.

On vous le donne en mille, conviction n°1 pour une refonte efficace de vos services techniques : ne pas s’intéresser aux expertises. La matière qui nous semble finalement la plus pertinente de travailler pour penser la structure et le fonctionnement de l’organisation est ce que nous appelons dans notre jargon « les fonctions clés ». Elles correspondent aux besoins/problématiques opérationnelles et stratégiques partagées à tous les niveaux de la DGST et qu’il est nécessaire de prendre en charge. Les expertises constituent une fonction essentielle, mais ce n’est pas la seule !

Dans le cadre de nos interventions auprès de services techniques – tant à l’échelle communale qu’intercommunale/métropolitaine -, nous avons identifié et consolidé une dizaine de fonctions clés des services techniques. Ci-dessous, en voici 3, qui nous paraissent particulièrement critiques :

  • Organiser, coordonner et planifier les interventions des services techniques (et de leurs partenaires) sur l’espace public, afin de garantir leur cohérence, préserver la crédibilité de la collectivité et aussi extraire autant que possible les services de la gestion quotidienne de l’urgence (qui pour autant est et restera une caractéristique essentielle des services techniques)
  • Faire dialoguer conception et exploitation, c’est-à-dire faire en sorte que ceux qui pensent l’espace public mobilisent ceux qui le gèrent au quotidien, afin d’intégrer leurs contraintes d’exploitation.
  • Garantir la territorialisation de l’action des services techniques dans un souci de proximité et de réactivité tant auprès des élus locaux que des usagers.

2/ Au-delà de la structure d’organisation, engager un travail de fond sur la culture d’organisation (en particulier avec les cadres)

Conviction n°2 : Structure et culture sont choses indissociables.
Nous l’évoquions en introduction, la culture d’organisation « en silo » – caractéristique de nos moyennes et grandes organisations (qu’elles soient publiques ou privées d’ailleurs) et héritée du 20ème siècle – reste encore profondément enracinée dans les mentalités et réflexes quotidien de travail. Or, face à la complexité et l’interconnexion des problèmes, l’enchevêtrement des compétences des acteurs publics pour les prendre en charge, les collectivités mesurent la nécessité de créer davantage de transversalité au sein de leurs administrations et avec leurs partenaires. Cela s’avère particulièrement vrai sur l’espace public sur lequel les politiques publiques et les usages se superposent.

Ces considérations peuvent certes sembler d’ordre très générale et tomber sous le sens ; force est de constater qu’en pratique nombreux sont les DST qui nous en font la confidence : il est difficile de générer cette transversalité entre leurs équipes et avec leurs partenaires…

Ainsi, modifier la structure d’organisation de services techniques pour mieux articuler les différents services, sans mener avec les agents une véritable réflexion de fond sur ce qui constitue la culture d’une organisation – la raison d’être des services techniques, les objectifs communs, les outils et pratiques de travail au quotidien, etc. – risquerait de ne pas permettre une véritable dynamique de transformation.

3/ Quelle traduction méthodologique de ces principes ?

Nous associons les agents et responsables tout au long de nos démarches d’accompagnement pour favoriser l’appropriation de ce qui constituent une mutation profonde du mode de fonctionnement des services techniques. Après tout, créer les conditions du changement suppose de permettre à ce qui vont le vivre d’y mettre du sens, n’est-ce pas ? Tout l’enjeu de la co-construction est donc d’assurer un niveau homogène de compréhension de la nouvelle organisation, un partage d’outils et procédures de travail, la sacralisation d’espaces d’échanges et de travail, etc. Comment s’y prendre ? voici quelques pistes…

Immersion

Politeia a la particularité de venir au contact des agents lors de la phase de diagnostic, non seulement dans le cadre d’entretien individuel ou d’atelier de travail en collectif, mais aussi directement sur le terrain, dans le cadre de travail des agents. La liste des vertus de cette approche est longue.

Cela permet notamment de :

  • Constater : c’est-à-dire avoir une vision opérationnelle des difficultés, alimenter le diagnostic d’exemples concrets qui le rendront beaucoup plus impactant pour les agents ;
  • Créer un lien de confiance avec les agents : pour libérer la parole et les embarquer dans la dynamique de transformation ;
  • Prendre un temps d’avance dans la réflexion : en testant directement auprès des agents des pistes d’évolution sur la réorganisation cadrée en amont avec la direction projet.

Raison d’être

Avant de s’engager dans la réflexion sur une quelconque structure d’organisation, il est essentiel de travailler avec les équipes la raison d’être partagée des services techniques. En d’autres termes de s’interroger sur le dénominateur commun entre les différentes expertises. Cette étape permet bien entendu d’avoir un grand moment de cohésion à l’échelle de la DGST, mais aussi de cerner ce que seront les « clés d’entrée organisationnelles » du schéma d’organisation cible de la DGST : les territoires, la proximité, les projets, la coordination, la relation de service, les ressources, l’expertise technique… Cette approche suppose donc d’assumer de traiter les enjeux de trajectoires individuelles en dernier pour ne pas biaiser l’organisation.

Communauté managériale

Au cours de nos accompagnements, pour enclencher une dynamique de transformation durable, nous constituons un collectif de cadres que nous mobilisons tout au long de la démarche. L’objectif est de leur permettre de mieux se connaître, faire collectif, accorder leurs visions, développer des réflexes de travail partagés, pour in fine appuyer le ou la DGST dans la conduite du changement. Pour atteindre ces ambitions, la condition de réussite essentielle est de leur soumettre des objets de travail concrets, qui auront une existence pratique dans la future organisation : structure d’organigramme (non nominative), outil de suivi et de dialogue, procédures opérationnelles partagées, cartographie des rôles de chacun et réflexion sur les attentes réciproque légitimes, consolidation de la chaîne managériale, réflexion sur le périmètre de missions de chaque service, recensement des compétences à consolider ou à développer… En somme, l’enjeu est de faire œuvre de pragmatisme et refuser de buter sur des grands modèles purs et parfait pour penser une organisation dans laquelle les cadres parviennent à se projeter.

4/ Et ensuite ?

La force de cette approche méthodologique par fonctions clés est qu’elle permet d’aboutir à des organisations sur-mesure, avec des clés d’entrée organisationnelles spécifiques en phase avec les priorités, projets et moyens de chaque collectivité. L’exercice n’est pas nécessairement évident pour les agents et les oblige à sortir de leur quotidien. Mais ce type d’accompagnement permet d’impulser, organiser et outiller le changement. En somme, une telle démarche vise à créer les conditions d’un engagement renouvelé du collectif managérial, ce qui reste le moteur de toute organisation et la garantie du succès dans le temps long.

Vous voulez en savoir plus ? Vous voulez vous lancer ? Nous sommes à votre disposition !

Nous restons naturellement à votre disposition pour échanger et partager nos réflexions avec vous !